Lundi 16 mars 16h, je débarque en vélo au Moulin Bleu sous la pluie. Dans mes sacoches : des vêtements, de quoi s’occuper et mes affaires pour télétravailler. Le confinement sera décrété le soir même à 20h et il débutera le lendemain à midi : juste à temps ! Récit de 3 mois confinés avec cette communauté hors du temps

C’est un Moulin Bleu, à côté d’une colline

En mai 2019, ma compagne Marie et moi rejoignons le projet. Nous ne faisons pas partie de la maison Bleu à l’origine du projet mais l’idée d’adopter un mode de vie collectif et résilient en zone rurale nous trotte dans la tête depuis un moment. Nos connaissances proches ne sont pas prêtes à sauter le pas et le Moulin Bleu nous fait de l’œil. Le train est déjà en route, on décide d’embarquer. En novembre, nous sommes contraints de nous éloigner du projet car c’est encore un peu tôt pour nous, mais nous restons associés investisseurs pour filer un coup de pouce.

Deux personnes avait prévus de s’installer immédiatement, les 5 autres habitant·e·s pensaient venir les weekends et je comptais y passer les vacances. Finalement nous sommes 15 à débarquer une semaine après la vente dans ce lieu dans lequel il y a tout à faire et où nous nous apprêtons à passer les 2 prochains mois.

Un antidote à l’anxiété

J’ai 31 ans. Je suis venu à l’écologie sur le tard parce qu’un discours scientifique sur le sujet a su parler au jeune ingénieur que j’étais 10 ans après « être tombé de ma chaise », j’ai enfin pu réorienter ma carrière professionnelle chez EDF vers les enjeux climatiques.

En même temps que ma compréhension s’améliorait, une anxiété me gagnait sur l’avenir, ma vie, mon activité professionnelle et sur le monde qu’on m’avait fait miroiter depuis l’enfance. Cette « éco-anxiété », appelée « solastalgie », affecte la plupart des personnes soucieuses du changement climatique et commence à être bien documentée.

Le projet du Moulin Bleu est aussi une réponse à cette anxiété

Parfois source de tristesse et de colère, parfois formidable source d’énergie, c’est cette anxiété qui m’a amené à m’engager pour la cause du climat depuis 10 ans, l’action apaisant la peur suscitée par la fin d’un monde. Le projet du Moulin Bleu est aussi une réponse à cette anxiété. Il me donne le sentiment d’être à la bonne place, d’être aligné. En témoigne l’enthousiasme qui m’habite quand il en est question.

Réinterroger son rapport à la propriété

Le Moulin Bleu est également l’opportunité de réinterroger mon rapport à la propriété, l’un des nombreux concepts que l’aventure a permis de déconstruire. Ce lieu n’est pas qu’à moi, mais je peux en avoir la jouissance alors qu’il me serait inaccessible, par le budget et le temps nécessaires, sans m’associer à d’autres.

L’ampleur du projet parle d’elle-même : une longère de 800m² et 3000 m² de bâtiments posés sur un domaine de 13Ha, une rivière dont le débit peut être exploité pour produire de l’électricité, un coût d’acquisition de 920 000€ financé pour moitié en apports personnels.

Réinterroger mon rapport à la propriété, l’un des nombreux concepts que l’aventure a permis de déconstruire

Cette remise en cause du rapport à la possession est salutaire vis-à-vis des enjeux écologiques : a-t-on besoin de posséder une perceuse lorsque son utilisation totale est d’en moyenne douze minutes ? N’est-ce pas plus intéressant de mettre en commun des ressources pour se procurer un atelier de qualité professionnel ? Mais elle pose aussi des dilemmes : vais-je accepter de mettre mes couteaux japonais, mon système Hi-Fi et ma collection de BD à la disposition du collectif ?

Entre les envies, les savoirs du groupe et le potentiel du lieu, les perspectives semblent infinies : maraîchage, production d’énergie renouvelable, accueil de groupe, organisation d’événements, brasserie, imprimerie, atelier vélo, espace bien être, yoga, karaté…

 

Un autre modèle est nécessaire ;
ce lieu existe pour montrer qu’il est possible et enviable

La force du collectif

Enfin, c’est l’occasion de tester la vie collective. Si nous pratiquons régulièrement la vie en communauté en vacances une ou deux semaine par an, ma compagne et moi n’avons pas connu la colocation à l’origine du projet. Nous allons vivre 8 semaines complètes confinés avec 15 personnes alors que nous avons nos habitudes à 2. Il va nous falloir mettre en place ensemble les modalités d’une organisation démocratique, en prenant garde aux rapports de domination qui nous traversent et en gérant les inévitables conflits.

A l’opposé, le collectif est également une formidable source de résilience, notamment par sa capacité à résoudre les difficultés par l’intelligence collective et l’addition des savoirs.

Un autre modèle est nécessaire ; ce lieu existe pour montrer qu’il est possible et enviable. Le Moulin Bleu est une aventure collective, enthousiasmante et joyeuse. Mais c’est également un parcours individuel en quête de cohérence et de sens.