Il y a deux ans, lors des premières rencontres pour se lancer dans l’aventure de l’achat d’un lieu d’habitat collectif, nous nous sommes dit que nous voulions changer de vie. Qu’en est-il aujourd’hui ? Lors du Festival Oasis 2020, Marie est montée sur scène pour nous le raconter.
Ai-je pris le temps de ralentir ?
Moi la première, Marie, je mettais la priorité sur le fait de quitter un Paris oppressant de pollution et de surpopulation, de larguer un boulot prenant et pas très bien payé, et de ne plus vivre à 2 dans un 40m² qui me coûte la moitié de mon salaire. Je ne passerai plus 2h par jour dans les transports, je n’irai plus au supermarché tous les deux jours car je ne peux pas stocker chez moi par manque de place, les tâches du quotidien seront diluées entre tous les membres du collectif… Bref, il serait alors possible de vivre davantage en adéquation avec le modèle de société que je défends, de pouvoir transformer mon quotidien, et ainsi de ralentir… enfin c’est ce que je croyais.
Aujourd’hui, le Moulin Bleu a clairement répondu à plusieurs de mes quêtes : de l’espace, l’horizon, du temps pour faire autre chose que mon travail rémunérateur… mais, je crois qu’il va falloir réviser le chapitre « envie de ralentir ». Depuis notre installation en mars, nous avons enchaîné entre petits et gros travaux, ménages, aménagements, accueil de proches, accueil de groupes, chantiers collectifs, rencontres avec le voisinage, potager et récoltes… et tout cela entremêlé de réunions quotidiennes en petits et grands groupes – soirs et week-ends, et ponctué d’un espace de discussion en ligne constitué de plus de 50 canaux différents aux sujets plus ou moins passionnants.
Alerte : fatigue générale !
Au milieu de l’été, nous avons été plusieurs à tirer la sonnette d’alarme : l’épuisement physique et moral est proche et ce n’est clairement pas la vie que je suis venue chercher. Ce lieu où je me sens bien, où l’on crée du commun, où l’on se soutient, … a pris les allures d’une entreprise multi-activité en mouvement permanent.
Je me suis alors demandée ce qui nous avait mené jusqu’ici. Au départ, je croyais qu’il s’agissait d’une sorte d’euphorie des débuts, l’envie d’aller vite pour voir se concrétiser un projet fou. Ensuite j’ai pensé que nous avions une forme d’exigence collective qui nous poussait à se lancer vite et à se mettre une pression folle pour réussir à tous prix à modeler le lieu à notre image. Peut-être que cette suractivité révèle notre besoin d’appréhender ce nouveau lieu, de le comprendre, pour mieux l’organiser, et qu’elle passera avec le temps. Est-ce que cette cadence infernale n’était pas liée au rythme des saisons ? Ou bien cela est simplement le fait de la vie d’un groupe composé d’individus qui se mobilisent à différents niveaux sur différents moments pour trouver son rythme avec une ambition énorme en toile de fond ? … Peut-être que simplement c’est moi qui me trompait sur mon envie de ralentir.
Chez les autres, ça se passe comment ?
Pendant le festival Oasis, en octobre 2020, j’ai présenté ce sujet et animé un atelier d’échanges pour savoir si ce ressentis était partagé par d’autres lieux collectifs. Les premiers retours sont formels, le « burn out » du militant est aussi courant dans les écolieux que dans le monde du travail en entreprise ou en association. Stéphanie me raconte que ce lieu était devenu toute sa vie, elle consacrait son temps au lieu, elle se sentait alignée avec ses valeurs, jusqu’au jour où elle s’est effondrée de fatigue. Autour d’elle personne n’a compris comment la dépression pouvait survenir dans un lieu qui répondait à sa quête de sens. Pierre nous a raconté que lui ne s’autorisait pas de pauses car il culpabilisait de ne rien faire quand ses cohabitant.es courent partout. C’est Samia qui nous amène sur le champ de la solution. Elle nous explique qu’au départ elle avait besoin de tout savoir et se tenait informé sur tous les sujets en cours dans son oasis, elle portait une énorme charge mentale jusqu’au jour où elle a compris qu’elle manquait de confiance envers le groupe. Iels ont travaillé ensemble là-dessus et chacun.e a trouvé sa place et son rythme, tout en conservant des espaces d’information réguliers sur la vie du lieu.
Une louche de confiance et un zeste de planification
On m’a beaucoup répété qu’il fallait trouver l’équilibre entre le « je », le « nous deux » (lorsque l’on vit en couple) et le « nous du collectif » pour ne pas s’oublier et ne vivre qu’au service du collectif. Ces échanges et réflexions m’ont permis de comprendre que je ne manque pas de confiance envers le groupe que nous sommes, mais que je m’étais peut-être trompé sur l’un de mes objectifs de départ. Je ne cherche pas à ralentir en vivant ici.
Concrétiser ce lieu, le faire exister en tant qu’espace d’accueil et d’activités multiples prendra du temps et de l’énergie (et de l’argent aussi, mais ça on en parlera une autre fois). Et si on veut y arriver, et que ce soit pas dans 15 ans, on ne va pas ralentir vraiment. Par contre, nos vies s’organisent déjà différemment et c’est ça que je suis venue chercher. La vie est plus douce ici malgré des périodes de fatigue et l’angoisse qui peut arriver lorsque je listes les choses à faire. Je me sens plus libre de mes choix, de mes activités, car je sais que le collectif porte ce projet.
Il nous reste encore à caler nos rythmes bien sûr, à s’assurer que personne ne culpabilise lorsqu’iel s’accorde une journée pour iel, à planifier pour visualiser les contours du chemin que nous prenons. Visualiser où l’on va, dans les grandes lignes, sera, pour moi, un moyen d’accorder nos rythme et de ne pas s’épuiser trop vite mais tenir la distance.