Récit à la première personne d’un chantier de plantation de 800m de haies.
Pierre-Olivier – POC
Même si j’ai grandi dans une maison avec un grand jardin et que je suis en partie issu d’une famille d’agriculteurs, les plantes c’est pas trop mon truc. Pour vous dire à quel point j’y pige que pouic, j’ai appris récemment qu’un arbre ça se plante en hiver. J’ai fait des études scientifiques mais ça parlait plutôt de thermodynamique et de mécanique des fluides. Donc quand la team plante-verte du moulin me dit me parle de ripisylve, de plessage et de sol limono-argileux, j’acquiesce en faisant celui qui comprend de quoi on parle et j’attends que ça passe.
Mais le dernier chantier en date du Moulin Bleu a été une expérience puissante pour moi. J’ai donc proposé à la team chlorophylle de raconter cette journée à travers les yeux d’un bizut du jardin.
C’est quoi ces gens qui creusent des trous ?
Objectif du weekend : planter 800 m de haies qui seront plessées d’ici quelques années. Le plessage c’est une technique traditionnelle de taille et tressage des haies vives afin de créer une clôture végétale naturelle. Ça a presque totalement disparu de France. Quelques irréductibles le pratiquent et l’enseignent encore. C’est le cas de la maison botanique qui nous a aidé à concevoir ce chantier.
Les tâches de la journée sont simples : creuser un trou bien aligné avec les autres, y mettre un plan dont on a précédemment trempé les racines dans un mélange argile/bouse de vache, boucher le trou, y mettre une protection en papier pour le vent et les lapins et pailler sur 30cm d’épaisseur.
Sauf qu’il y a 1413 arbres. Donc 1413 trous, 1413 trempettes dans la bouse, 1413 protections, 1413 lapins et 800m de paillage. Soit environ 100 à 200h de travail. C’est pour cela qu’on fait ça à plusieurs
Mais pourquoi s’infliger ça ?
Hormis le fait que ça va être très joli dans 10 ans, planter des haies est une très bonne idée pour plein de raisons. Ça stocke du carbone, ça permet de limiter le passage des animaux en faisant une véritable clôture vivante bien plus efficace qu’une clôture en bois mort, ça protège du vent, ça filtre les pollutions en rabattant au sol une partie des particules et poussière et ça stoppe une partie des produits phytosanitaires qui pourraient venir d’un champ voisin, ça lutte contre l’érosion des sols en retenant la terre et c’est une source de production de bois pour se chauffer.
Les haies du Moulin Bleu dans 15 ans (©Maison botanique de Boursay)
Et surtout, c’est bon pour la biodiversité. Normalement l’écosystème des campagnes françaises, ça marche à peu près comme ça :
- Les chouettes mangent campagnols, criquets et sauterelles
- Elles vivent dans les arbres creux des haies et bosquets
- Les criquets et campagnols mangent les céréales et les cultures
- Les oiseaux mangent des fruits, des céréales, des insectes dont les pollinisateurs.
- Ils vivent aussi dans les haies
- Les pollinisateurs se nourrissent de pollens de fleurs et pollinisent les fruits
Mais à la suite de la seconde guerre mondiale, la France lance un grand plan pour nourrir le pays et donc augmenter la productivité agricole:, on appelle ça « le Grand Remembrement », près de 600 000 km de haies sont détruites entre 1960 et 1980, soit la moitié du linéaire total. On constitue de grandes exploitations agricoles en regroupant les parcelles et on supprime les haies et bosquets pour augmenter la taille des parcelles et laisser passer les tracteurs.
Que se passe-t-il alors ? Un déclin drastique des chouettes et des oiseaux, les insectes, notamment criquets ou encore les campagnols, n’ont plus de prédateurs et se multiplient, ils détruisent les cultures. On met des pesticides, dont des néonicotinoïdes, les colonies d’abeilles domestiques et sauvages s’effondrent, faute d’habitat et avec une nourriture moins importante les populations d’oiseaux diminuent, et le printemps devient silencieux.
« Planter un arbre fruitier, c’est participer à la création du Monde » – Bernard Moitessier, navigateur
A l’époque où les haies ont été détruites, c’était le premier facteur de la disparition des oiseaux et rapaces. Aujourd’hui, de nouveaux facteurs s’ajoutent pour expliquer la chute de la biodiversité dans nos campagnes. Lorsque l’on supprime les habitats d’espèces, les espèces associées disparaissent.
Cet exemple illustre la première cause directe d’érosion de la biodiversité, la destruction des habitats naturels :
- 33% de baisse des populations d’oiseaux des milieux agricole en France en 30 ans
- 80% de baisse des populations d’insectes volants en Allemagne en 30 ans. Or Les insectes volants jouent en effet un rôle crucial dans la pollinisation de 80 % des plantes sauvages et dans l’alimentation de 60 % des espèces d’oiseaux.
Voilà en gros pourquoi on plante des haies un samedi matin à 9h dans le froid : pour sauver les chouettes rapaces et les pas-chouettes aussi.
Et planter des haies ça fait quoi ?
Ce qui est encore plus intéressant dans cette histoire, ce n’est pas d’être convaincu que ce qu’on fait va dans le bon sens, c’est l’effet que planter des arbres a eu sur moi.
Je suis un télétravailleur. Mes journées consistent à rester assis devant un rectangle de plastique noir où des images s’agitent, en passant des coups de fil et en pestant contre la connexion internet du Moulin Bleu…
Autant dire que la perspective de passer un weekend dehors avec des copains et des copines à creuser des trous, d’écouter de la musique et de se raconter des blagues tout en sachant que le soir on mange un couscous, ça aide à tenir la semaine.
Je peux assurer que passer la journée à l’air pur les mains dans la terre, ça vous retape un employé de bureau.
Et surtout l’étape des protections m’a particulièrement marqué. On se rend compte à quels point ces jeunes plans sont fragiles et qu’ils vont devoir se battre contre le vent, les éléments et les lapins pour arriver à grandir. Ça m’a fait toucher du doigt la fragilité de la nature.
Enfin je me suis aussi rendu compte de la quantité de travail qu’il a fallu pour planter moins d’un kilomètre de haie. A mettre en perspective avec les 600 000km qui ont été arrachés en France lors du Grand Remembrement…
La liste des essences plantées :
- 115 cornouillers sanguins
- 95 fusains
- 115 troène des bois
- 95 nerprun purgatifs
- 60 viorne lantanes
- 160 noisetiers
- 160 aubépines
- 5 néfliers
- 160 érables champêtres
- 10 aulnes glutineuxs
- 10 bouleaux verruqueux
- 15 charmes
- 120 Mûriers blancs
- 10 trembles
- 5 poiriers francs
- 30 chênes pubescents
- 40 saules marsaults
- 5 cormiers
- 10 alisiers torminals
- 20 châtaigniers
- 5 hêtres
- 135 frênes communs
- 10 merisiers
- 70 chênes sessiles
- 45 chênes pédonculés
- 5 tilleuls
- 120 ormes champêtres