Quelles sont les structures juridiques présentes sur le lieu et à quoi servent-elles ?
Le Moulin Bleu est géré par une association loi 1901, l’association Le Moulin Bleu. L’association est ouverte à tous les usager⋅es, habitant⋅es ou non, et prend ses décisions de manière collégiale. Elle est aujourd’hui impliquée dans l’ensemble des activités du lieu. L’association est locataire de l’intégralité du lieu auprès d’une société civile immobilière (ou SCI), une société civile qui permet l’achat immobilier en commun (décrit plus bas dans le paragraphe « L’achat du lieu »). Cette dernière est propriétaire des bâtiments et est donc responsable de leur entretien (toitures, murs extérieurs, etc).
De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins
Nous essayons de contribuer à l’aplanissement des inégalités au sein du collectif d’habitant⋅es et de permettre l’accès au lieu à toutes et tous, quels que soient leurs moyens économiques et leurs diverses contraintes. Ici, pas de loyer fixe ni de participation unique aux frais. Chaque habitant⋅e et usager⋅e du moulin contribue à hauteur de ses moyens au fonctionnement du lieu (courses alimentaires, charges, petits travaux…). Nous considérons que les revenus ne sont pas forcément proportionnels aux efforts individuels, mais sont en partie liés à l’origine familiale, sociale, culturelle… Les participations financières sont donc calculées sur la base des revenus pour amorcer une redistribution des richesses, à l’échelle de notre collectif et de ce lieu.
Les habitant⋅es « longue durée » (au delà de 1 mois) calculent leurs contributions de la manière suivante : 16% de leur revenu + 0,6% par tranche de 100€. Ce modèle implique que des personnes ayant un haut revenu donnent une part proportionnellement plus importante de leur revenu que des personnes moins rémunérées (un peu comme l’impôt sur le revenu).
Par exemple pour un⋅e habitant⋅e au SMIC : (16 + 0,6 x 12) = 23,2 % de 1219 € = 283€/mois ; pour une personne au RSA : (16 + 0,6 x 5) = 19 % de 565€ = 107€/mois.
[Mise à jour 2024] La formule de calcul des contributions des habitant·es est passée à 20%+0,8% par tranche de 100€, pour s’ajuster à l’augmentation des charges.
Pour les usager·es du moulin (les personnes de passage à la journée ou pour quelques jours), la participation est à prix libre ; nous suggérons une participation correspondant à l’équivalent d’une heure de travail journalier par jour passé sur place (par exemple, environ 10€/jour pour une personne au SMIC, environ 4€/jour pour une personne au RSA). Pour les personnes utilisant le lieu en autonomie (les collectifs ou événements, dont l’intendance est indépendante de celle des habitant·es), la participation suggérée est moitié moindre, soit l’équivalent du salaire d’une demi-heure de travail par jour.
Ce modèle, outre le fait de permettre l’accessibilité de l’habitat sur le lieu à toute personne, indépendamment de ses revenus, a des effets en terme d’activités professionnelles. Il permet aux personnes qui le souhaitent d’envisager plus sereinement une baisse ou une absence de revenus, par exemple en vue de changer d’activité professionnelle, de démarrer un nouveau projet ou de se concentrer sur des activités non rémunérées.
À quoi sert cet argent ?
Tous ces sous finissent dans une caisse commune gérée par l’association. Ils servent principalement pour les activités de l’association, l’entretien du lieu et les dépenses courantes des habitant⋅es :
> Le financement des activités de l’association (bibliothèque, atelier vélo, potager, chantiers collectifs…) ;
> L’ensemble des charges courantes (assurance habitation, eau, électricité, gaz, alimentation…) ;
> Les travaux d’entretien et d’aménagement du lieu ;
> Le loyer versé à la SCI.
L’achat du lieu
Si l’on remonte au début de l’installation au sein du lieu… Pour acquérir le Moulin, nous avons fait le choix d’une structure permettant l’achat en commun de manière légale : la société civile immobilière, dans laquelle des habitant⋅es et non-habitant⋅es ont investi une partie de la somme nécessaire à l’achat (environ 50%). En plus des ces apports, le Moulin Bleu a reçu un prêt d’une proche du projet, un prêt auprès d’une banque locale et de la trésorerie pour les premiers travaux par le biais de la Coopérative des Oasis.
La SCI est un véhicule juridique assez rigide, où il est compliqué de mettre en place une gouvernance équitable et des règles de redistribution efficaces. C’est néanmoins un type d’organisation collective relativement inclusive et compréhensible pour nombre d’organismes financeurs, d’où le choix porté sur cette structure. Côté gouvernance, afin que chaque associé⋅e ait le même nombre de voix et donc le même poids dans les décisions, nous avons veillé à ce que tou⋅tes les associé⋅es habitant⋅es aient le même nombre de parts dans la SCI. Pour cela le montant d’une part a été fixé suffisamment bas pour que presque tou⋅tes les associé⋅es puissent l’avancer. Les montants supplémentaires (différents selon les associé⋅es) ont été versés au compte courant associé.
En terme de redistribution, les charges de la SCI (taxe foncière, intérêts des emprunts, provision pour travaux…) sont financées selon un modèle de participation dépendant du revenu, similaire à celui des charges de l’association. Ce modèle est décrit dans le « pacte des associé⋅es », document signé par tou⋅tes les membres de la SCI qui complète les statuts de la SCI. Ce document stipule par ailleurs que la valeur des parts de la SCI ne peut pas être ré-évaluée en fonction du changement de la valeur du lieu, afin d’éviter un mécanisme de spéculation immobilière.
En pratique
Les membres de la SCI qui habitent sur le lieu s’engagent à prendre 10 parts sociales de 500€ chacune dans les 10 ans après leur entrée dans la SCI. Les associé·es qui n’habitent pas sur place ne peuvent prendre qu’une part sociale. Au-delà des parts sociales, chacun·e est invité·e à verser le montant qu’iel peut/veut mettre dans la SCI, dans un compte courant associé (CCA) qui est récupérable sur demande et selon les capacités de la SCI.
Initialement, il avait été décidé que chaque associé·e devait s’engager à apporter une somme fixe dans la SCI (somme qui était alors de 40 000€, ce montant permettant d’acquérir le lieu avec 24 personnes dans la SCI). Le modèle a depuis été modifié, d’une part car il est apparu assez rapidement qu’il n’y aurait pas 24 habitant·es sur le lieu compte tenu (en tout cas à court-moyen terme) et d’autre part parce que la somme demandée étant trop élevée pour permettre à toutes les personnes qui le souhaitent de rejoindre la SCI. Aujourd’hui, en dehors des parts sociales, chacun·e est libre d’apporter le montant souhaité, et la SCI a été ouverte aux personnes non-habitant·es mais impliquées sur le lieu et/ou qui souhaitent soutenir financièrement le projet.
Pourquoi avoir fait ce choix de deux structures juridiques ?
Ces choix d’organisation et ces choix financiers contribuent à notre avis à la construction d’un commun, c’est-à-dire une ressource (ici, un lieu de vie et d’activités) dont la gestion est faite principalement par les usager·es et non par les propriétaires. Le fait qu’une association gère l’ensemble de la vie sur le lieu permet d’intégrer tou·tes les usager·es dans les prises de décisions, et non pas seulement les personnes propriétaires des lieux.
Par exemple, les associé⋅es de la SCI ont fait le choix de ne pas diviser le bien, et l’attribution des chambres fait partie des décisions que nous prenons collectivement en évaluant l’évolution des besoins de chacun⋅e. Les activités qui émergent sur le lieu, l’allocation des espaces à telle ou telle fonction, l’organisation d’événements ou encore les choix d’aménagement et de travaux sont autant de décisions qui relèvent des usager·es. Seuls les travaux d’entretien du bâti sont dévolus à la SCI propriétaire, et toutes les autres décisions sont prises au sein de l’association, qui est ouverte à toutes et tous. La gouvernance de l’association est collégiale, il n’y a pas de « bureau » avec président·e, secrétaire et trésorier·e, mais une « direction collégiale » (que nous avons choisi d’appeler la Barque) constituée d’une quinzaine de personnes (habitantes et non-habitantes) impliquées dans la vie du lieu.
Quelques perspectives pour aller plus loin
D’autres outils juridiques permettent d’approfondir cette distinction entre la propriété financière et la propriété d’usage. Par exemple, le bail emphytéotique délègue quasi-tous les droits, devoirs et responsabilités du propriétaire aux locataires d’un lieu pour des longues durées (généralement 99 ans) en échange d’un loyer très modique ; le prêt à usage (ou commodat) permet le même type d’accord mais sans contrepartie financière de la part des locataires. Le bien (terrain agricole, immobilier…) mis en jeu échappe alors à la spéculation et sort du marché immobilier le temps de la durée du contrat.
Des structures existent aujourd’hui pour sortir complètement un bien du marché en empêchant sa revente en cas de départ des propriétaires. C’est le cas du CLIP, un réseau de lieux en propriété d’usage inspiré d’un mouvement allemand qui compte plus d’une centaine de lieux sortis du marché. Le principe est plutôt simple : le titre de propriété d’un lieu membre de ce réseau est détenue par une association constituée de deux personnes morales seulement, à savoir l’association des usager·es du lieu et le CLIP lui-même. Toutes les décisions concernant le lieu sont prises par l’association usagère, sauf dans le cas d’une volonté de revente, sur laquelle le CLIP s’exprime et peut user d’un droit de veto. Le bien peut alors être considéré comme sorti du marché, puisque les membres du CLIP peuvent empêcher sa revente et s’engagent à en transférer l’usage à d’autres personnes. Aucun·e usager·e ne détient de titre de propriété, le bien est acheté et entretenu par le versement de loyers par les usager·es. Ces loyers alimentent par ailleurs un fonds de solidarité destiné à aider de nouveaux projets collectifs en propriété d’usage à émerger.